Cinemapolis : Le scenario de La Fée a été élaboré à partir de trois autres idées de films (La Fée, L’amour Flou et Love Hotel) qui n’ont pas vu le jour. Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour retravailler ce matériel narratif ?
Dominique Abel : L’amour Flou, c’était juste un détail, c’était un court métrage où deux personnages extrêmement myopes se rencontrent et tombent amoureux mais on y a pensé indirectement. C’était pour une scène, une bonne scène du film, de La Fée, dans le bar…Mais, c’était surtout… au départ, on a commencé à écrire l’histoire d’une ado qui abandonne son bébé dans l’hôtel et le veilleur de nuit essaie, avec une cliente, de retrouver l’ado. Mais dans le processus d’écriture, on trouvait qu’il y avait une fin qui n’allait pas car elle était moraliste. Soit on obligeait l’ado à prendre son enfant, soit on partait avec mais de toute façon, y avait un rapport avec la morale qui nous plaisait pas. Et puis, on avait écrit une petite histoire avant : Fiona qui tombe en panne avec sa voiture, elle est dans la cambrousse et elle trouve dans le fossé un bidon d’huile. Elle l’ouvre et il y a un génie qui sort et qui dit : ‘Bonjour, je m’appelle Dom et tu as droit à trois souhaits…’Et puis, on a rebâti, on a détourné l’histoire de Love Hotel en y mettant une fée et on a recrée une histoire là-dessus. Et la difficulté que l’on éprouve souvent nous, c’est dans les ellipses. C’est-à-dire que dans notre histoire, on a été confronté à Fiona qui est enceinte (donc neuf mois) et par la suite notre séparation (un an d’emprisonnement… Et, on trouve que l’on a toujours des difficultés à donner visuellement l’ellipse, on peut facilement dire ‘ellipse visuellement’, mais on ne sait pas trop rendre encore la sensation du temps…
Fiona Gordon : Il me semble que l’on n’a jamais vraiment du mal à démarrer l’histoire et puis suivre le fil…Ce sont comme des dominos qu’on ajoute et puis d’autres qui tombent. Mais, c’est souvent difficile après, quand on écrit de cette manière-là, de trouver des fins. Systématiquement, on cherche, pendant longtemps parfois, des fins…
Bruno Romy : Mais c’est vrai que les deux premiers, L’iceberg et Rumba étaient partis sur deux petites idées, des idées très simples, isolées, alors que là, sur Love Hotel, on a bossé, bien un mois là-dessus, on a essayé de développer ce scenario là et on l’a laissé pour reprendre des personnages car plusieurs projets s’étaient mélangés…
Cinemapolis : La musique joue un rôle très important, que ce soit dans les scènes de danses aquatiques ou avec le solo de la joueuse de rugby dans le bar L’amour Flou, est-ce que tourner une comédie musicale (à la manière de Christian Honoré) vous tenterait ?
Fiona Gordon : Moi, non car pour moi, les danses sont rigolotes mais personnellement, je me sens plus clown et j’ai envie de faire rire. Et je n’ai pas envie d’avoir toujours la musique ‘dans les pattes.’
Dominique Abel : Peut-être si on était des chanteurs, on n’est pas des danseurs non plus, mais de bons chanteurs, cela aurait plus de sens. Mais, de toute façon, on n’est jamais dans des styles très fermés, on est dans notre style, on cherche notre style. On n’est pas dans un genre, dans un registre…
Fiona Gordon : C’est un peu gênant, un peu embarrassant au niveau de la communication car on prend un film comme The Artist et les gens se disent : ‘Ah oui, c’est un film muet’ ou bien on prend un film musical et on va dire « Ah oui, c’est un film où les gens chantent tout le temps. » Et c’est un bon argument de vente et de marketing. Mais, en fait, nous, cela ne nous intéresse pas de faire un film de genre et donc on ne peut jamais profiter de ce petit avantage de dire ‘Allez, on fait un western ou un polar.’
Cinemapolis : en même temps, c’est intéressant de pouvoir bousculer un peu le public ou les critiques qui justement s’attendent à voir des choses assez formatées et hors de ça, peuvent être perdus parfois… Toujours par rapport à la musique dans La Fée…Votre film est très réjouissant, « donne la pêche » pour m’exprimer de manière un peu familière mais, vous avez inclus la chanson Youkali de Kurt Weil qui est assez triste puisqu’elle parle d’un monde qui n’existe que dans les rêves… Pourquoi ce petit contrepied ?
Dominique Abel : C’est pas vraiment triste, cette chanson. C’est pas un contrepied. C’est vrai, tu es la deuxième personne qui nous dit cela…Mais, en fait, cette chanson, elle parle énormément de ce pays de rêve, avec des fées, où l’on s’aime, avec tout cela mais ça n’existe pas. Le bonheur, il est éphémère. Quand je pense à cette chanson, je trouve que c’est très humain, très juste, très poétique. Mais, en effet, ça n’existe pas, tout comme les fées.
Bruno Romy : ce qui nous a fait rigoler dans cette chanson, c’est qu’elle commence très doucement et elle va crescendo pour finir très très fort avec le bébé qui s’endort.
Cinemapolis : un autre thème qui pourrait décrire le film, c’est la difficulté à communiquer. Je trouve que le personnage de Dom évolue beaucoup. Au début, il souhaite être seul devant la télévision et au fur à mesure du film, on voit, avec la séquence des vigiles qui ne sen rendent pas compte du vol, que la fée est là pour faire éclater les petites bulles protectrices. Chacun est dans son monde et elle, elle arrive, pour les secouer…
Fiona Gordon : Oui, c’était tout à fait l’idée du film, c’est un fée qui rompt le quotidien. Les gens, ils ont tous leurs problèmes. Grands pour certains comme les clandestins. Plus petits pour les autres comme Dom qui n’arrive pas à manger son sandwich devant la télévision parce qu’on le dérange tout le temps mais la fée change tout cela…
Dominique Abel : elle m’ouvre un monde fait de mystères et d’aventures…Et pas qu’à moi, avec tous les personnages…
Fiona Gordon : oui, elle fout le bordel.
Bruno Romy : c’est une belle image, ce que tu as dit là avec la bulle. Elle crève les bulles…
Cinemapolis : vos films sont très corporels, les personnages parlent peu mais s’expriment beaucoup à travers leurs mimiques et gestuelles. Est-ce que vous avez une manière de travailler cela ? Et quels conseils donnez-vous aux acteurs qui contrairement à vous ne viennent pas du clown, ne connaissent pas cet univers ?
Dominique Abel : justement, on aime travailler avec des gens qui viennent de cet univers, comme l’anglais dans le film…
Fiona Gordon : Philippe Martz…
Dominique Abel : et deux autres personnages du film qui sont des burlesques professionnels mais aussi avec des amateurs complets, des non-professionnels, on aime ça. Et on travaille avec eux physiquement, on bouge, on a des exercices qui sont plus de l’ordre du théâtre du clown et en les confrontant à des tas de mouvements, tout à coup, on voit leur personnalité. Ce qu’on cherche, c’est de faire apparaître la différence par rapport à la norme. Pour chaque personne, ça existe. Il faut juste qu’elle éprouve le plaisir de nous l’offrir. Et nous, on vient d’une école qui s’appelle Jacques Lecoq à Paris qui a compris ça. Jaques Lecoq, le pédagogue qui a inventé ça, eh bien nous, on recherche ça, ce qu’on a vécu à travers deux années de cours, faire fleurir l’original en chaque corps et en chaque personne…
Cinemapolis : votre couple est très burlesque et est-ce que vous pensé à appliquer ces méthodes dans la direction d’autres acteurs, d’inventer d’autres types de couples ?
Dominique Abel : on a jamais pensé à ça…
Fiona Gordon : dans nos films, on est toujours un petit peu pareil, un petit peu différent à chaque fois. Mais on part toujours de nos improvisations. On se voit pas encore pour le moment camper des personnes autres que nous…
Dominique Abel : mais tu parlais d’engager d’autres acteurs aussi…
Cinemapolis : travailler avec d’autres couples d’acteurs mais aussi comme l’a dit Fiona, camper d’autres types de couples…
Dominique Abel : mais en fait, on est pas du tout intéressés par le couple, leur besoin de bonheur et parfois d’amour. Mais, par contre, ce qui nous intéresse, c’est d’être un couple burlesque. Il n’y en a pas au cinéma, moi, je n’en connais pas vraiment, des couples burlesques où la femme n’est pas le faire-valoir de l’homme mais vraiment un clown à part entière. Et donc, on est content d’incarner, ça, de montrer que cela existe. Mais des histoires autour du couple, ça n’a pas d’intérêt mais des histoires sur des gens qui tombent et se relèvent, ça nous passionne…
Cinemapolis : Vos films sont souvent décrits comme des films engagés. Est-ce qu’aujourd’hui, pour vous, être engagé, c’est réaliser des films drôles avec des personnages qui font preuve d’originalité ?
Bruno Romy : Nous, on cherche pas à être original, on cherche à être le plus près de nous-même alors il s’avère que cela donne des choses originales mais moi, je ne sens pas comme quelqu’un d’original. J’essaie de faire ce qui me plaît, engagé, je l’ignore…
Fiona Gordon : pas engagés dans la mesure où pour moi, les réalisateurs ou acteurs qui font du cinéma ou du théâtre dit engagé, c’est vraiment un don. Et, c’est super difficile d’être engagé sans être lourd, démagogique et sermonnant. Donc, on est pas engagés car on ne se sent pas non plus doué dans ce domaine-là. C’est juste que quand des personnages apparaissent dans les histoires d’une manière spontanée et organique, on en parle et ça raisonne pour d’autres comme étant… un message, écologique ou social…
Dominique Abel : C’est sûr que dans celui-ci comme étant le croisement de plusieurs personnages permis par le lieu de l’hôtel, on voulait faire quelque chose de plus urbain, plus chaotique, il y avait de la place pour plus de social, et à la fois, on le sentait, on le voulait et à la fois, on ne mettait pas de mots dessus. C’est simplement que ce projet-là s’y prête et c’est bien que cela arrive maintenant.
Bruno Romy : Et puis, il y a aussi le décor urbain qui donne plus de reliefs aux personnages et ce côté social ressort plus mais ce sont les mêmes personnages que dans L’Iceberg ou Rumba mais le fait qu’ils soient en ville plutôt qu’à la campagne, cela donne un côté plus social…
Cinemapolis : Après Veaux, vaches, cochons, votre prochain long-métrage comme acteurs sous la direction de Michel Cauléa, quels sont vos projets de films ?
Fiona Gordon : Dominique et moi allons être comédiens pour un autre réalisateur. C’est tout à fait exceptionnel. C’est un bol d’air…
Dominique Abel : ça, c’est le prochain projet mais pas avant un an disons… Mais, nous, on sort seulement la tête des étapes techniques, on a pas eu le temps de souffler, on enchaîne sur la promotion et donc, il faudra d’abord qu’on prenne des vacances et en général, c’est pendant ces vacances que les idées commencent à venir…
Cinemapolis : Eh bien, écoutez, je vous remercie de m’avoir accordée cette interview. Je vous souhaite une bonne promo et de bonnes vacances par la suite…Le film sort dans combien de pays…
Dominique Abel : Le film sort dans une vingtaine de pays, peut-être trente par la suite..
Cinemapolis : Eh bien, encore une fois très bonne promo et à bientôt…