A l’occasion de la ressortie en salle de Despair de Rainer Werner Fassbinder (le 28 Mars ) nous avons rencontré Andréa Ferréol qui partageait l’affiche du film avec Dirk Bogarde.
CINEMAPOLIS : Comment vous a-t-on contactée pour Despair ?
A. FERREOL : C’est un ami de Fassbinder, le cinéaste suisse Daniel Schmid qui m’a dit qu’il préparait un film, Despair, et m’a demandé si j’étais intéressée. Il m’a demandé si je parlais anglais ; j’ai menti bien sûr en disant que oui dès que j’ai appris qu’il y avait Dirk Bogarde, Tom Stoppard au scénario et que c’était adapté de Vladimir Nabokov. Après je me suis mise à apprendre l’anglais et grâce à ce film j’ai pu, après, tourner plein de films en anglais.
CINEMAPOLIS : Vous aviez un coach sur le tournage ?
A.FERREOL : j’ai surtout eu un coach avant. J’ai appris l’anglais sur les Champs-Elysées 6 heures par jour pendant 3 mois, et j’ai eu un coach chez moi 4 heures par jour pendant un mois. Après sur le tournage, il y avait aussi un coach, mais pas que pour moi, pour tout le monde ; pour Dirk c’était sa langue maternelle, mais il y avait toute l’équipe allemande ; il fallait que, eux aussi, soient parfaits en anglais.
CINEMAPOLIS : Oui, c’est, je crois, le premier film de Fassbinder tourné en anglais.
A. FERREOL : C’est son 1er film tourné en anglais effectivement, et c’est aussi son 1er film avec 2 acteurs nouveaux, Dirk et moi. C’était sa première expérience avec 2 acteurs étrangers, je crois.
CINEMAPOLIS : Vous dites que vous avez triché en faisant croire que vous parliez anglais mais au bout du compte vous avez tourné beaucoup de films en langues étrangères, en italien aussi par exemple –
A. FERREOL : alors, oui, je parle italien couramment grâce à mes tournages en Italie.
CINEMAPOLIS : et peut-être en allemand aussi …
A. FERREOL : L’allemand, j’ai essayé, j’avais dit oui à une télé, j’ai travaillé mais je n’y arrivais vraiment pas. Il y a aussi eu de l’espagnol : je ne parle pas espagnol mais j’ai fait 2 films en espagnol. Chaque fois, c’est un challenge, j’aime ça.
CINEMAPOLIS : Fassbinder avait la réputation d’être fantasque, excentrique voire un peu dépravé ; est-ce qu’il était vraiment comme ça ?
A. FERREOL : Il était assez provocateur, certainement. La première chose qu’il m’ait dite, c’est « le français est une langue pour boire et l’allemand est une langue pour penser » Plus provocateur que ça, je pense qu’il y a pas. Je me suis dit si on part comme ça, on n’est pas arrivés. Donc oui, il avait un coté provocateur ; mais il travaillait beaucoup. Il produisait un film pendant qu’il en tournait un, il montait le précédent dans la nuit, il écrivait des articles, il produisait le film d’un copain ; il était quasiment jamais en retard sur le plateau, et on tournait et ça se passait très bien. Donc c’était une force de la nature ; une force de la nature qui, malheureusement a explosé en plein vol, parce qu’il tirait trop sur la corde, et à force la corde elle casse.
CINEMAPOLIS : Donc, il était fidèle à l’image qu’on a de lui ; mais sur le tournage malgré tout, il était correct ?
A. FERREOL : Ah, tout à fait correct ; sur le tournage il y avait quelque chose de touchant parce qu’il n’avait que 31 ans. Il était jeune. Quand Dirk était magistral, il était comme un enfant, il riait, il applaudissait, et il faisait « ah, zut, zut, faut tout recommencer » parce qu’on était en prise de son direct. Il était comme ça. C’était très mignon. On a fêté son 31e film, Despair, le jour de ses 31 ans.
CINEMAPOLIS : Il y a un détail qui frappe dans le film : Dirk Bogarde est patron d’une usine de chocolat et les employés ont tous des vestes violettes Milka…
A. FERREOL : Oui, c’est un clin d’œil amusant, c’est plein d’humour ça.
CINEMAPOLIS : oui, enfin, c’est pas super flatteur non plus quand on voit le rôle qu’a Dirk Bogarde…
A. FERREOL : C’est ça, c’est amusant et en même temps c’est provocateur. On en revient toujours là.
CINEMAPOLIS : Comment le film a été reçu quand il est sorti ?
A. FERREOL : A Cannes, la presse a estimé que c’était un film trop cher. C’est le premier de Fassbinder avec beaucoup d’argent. D’ailleurs ça se voit à l’écran, on peut pas dire qu’il l’a caché. Des décors superbes. Des costumes extraordinaires. Tout a été tourné en studio. 3 mois de tournage. Berlin, Travemünde, Munich. On a beaucoup bougé. Pendant le festival il s’est comporté très bizarrement. Son amant, qui jouait dans le film, s’est suicidé peu de temps avant. Fassbinder était détruit, il prenait de la cocaïne, il est arrivé en retard à la conférence de presse, il n’est pas allé à la projection. C’était assez déplorable. Ca joue à Cannes quand il n’y pas de rigueur, je pense. Et donc on n’a pas eu de prix, et les critiques ont dit, de manière générale, que c’était intéressant mais qu’il y avait trop d’argent et qu’il s’était un peu perdu avec cet argent-là. Pour ma part, je ne pense pas qu’il s’est perdu, je pense qu’il a fait un film classique, éloigné de la Nouvelle Vague et de ce qu’il avait fait avant, c’est tout. Avec de la folie et de l’humour bien sûr.
CINEMAPOLIS : Avec quel réalisateur avez-vous préféré travailler ?
A. FERREOL : Je dois dire que j’ai eu beaucoup de chance dans la vie ; grâce à Marco Ferreri et La Grande Bouffe, qui a été mon premier grand film, j’ai pu travailler avec des gens comme Caviani, Scola, Fassbinder, Truffaut, Peter Greenaway, j’ai pu travailler avec des grands metteurs en scènes des années 70-90. Ca, déjà, c’est une chance inouïe qui n’arrive pas à tout le monde. J’ai des souvenirs magnifiques sur Le Dernier Métro mais mes souvenirs, je dirais presque, les plus vivants, ça reste La Grande Bouffe. Toute la préparation, le tournage, Cannes avec le scandale, et ce qui s’est passé après, dans les rues, les restaurants. C’est un souvenir terrible.
CINEMAPOLIS : Il a fallu saisir les opportunités cela dit ; beaucoup d’acteurs ont eu un succès grâce à un film mais n’ont pas su le convertir par la suite ; à partir du film de Ferreri, vous auriez pu avoir une carrière très différente…
A. FERREOL : Oui. Après le film de Ferreri, on m’a proposé beaucoup de choses que j’ai refusées. Dans le style, tout en étant plus vulgaire. Il fallait que j’évite de tomber dans le vulgaire, La Grande Bouffe ne l’était pas du tout, mais c’est pour ça qu’il fallait que j’évite de tomber dedans. C’est en 80, avec Le Dernier Métro, que j’ai senti que le film de Ferreri commençait à être derrière. 7 ou 8 ans après quand même.
CINEMAPOLIS : oui, vous avez été piégée, malgré tout, pour le pire ou pour le meilleur, par ce film-là ?
A. FERREOL : Ah oui, bien sûr. Mais bon y a pire que ça comme piège.
CINEMAPOLIS : Comment Ferreri vous avait trouvée pour ce rôle ?
A. FERREOL : Je jouais au théâtre Les Fraises Musclées de Jean-Michel Ribes – c’était mes débuts et ceux de Jean-Michel Ribes – qui marchait assez bien, et j’ai été démarchée par une jeune femme qui était agent ; un jour un assistant de production l’appelle et lui dit « on cherche une grosse, une ronde pour un film de Marco Ferreri, ça s’appelle La Grande Bouffe, etc… » et elle lui répond qu’elle a rencontré une femme récemment au théâtre, une jeune, qui pourrait correspondre. Il m’appelle, me donne un rendez-vous, me présente le projet, et là : Marcello, Tognazzi, Noiret, Piccoli, quand même ! Par contre, film italien, Ferreri ; connais pas. Et il me dit qu’il faut grossir de 20 kilos. Je lui dis qu’il n’y a pas de problème. Je prends le Pariscope, chance folle, au cinéma des 3 Luxembourg, tous les matins à 10h, il y avait un Ferreri. Et j’ai vu Break-up, Le Mari de la Femme à Barbe, El Cochecito, Dillinger Est Mort ; tous les matins, j’allais au cinéma. Tout à coup, j’ai découvert un univers.
CINEMAPOLIS : oui, c’est certain que quand on vous demande de prendre 20kg pour un film, c’est la moindre des choses que de s’assurer qu’on travaille pas pour n’importe qui !
A. FERREOL : non, c’est même pas ça, c’est juste que je connaissais pas du tout son univers. Bref, je mange, je grossis. A ce moment je ne savais pas encore si j’allais travailler pour lui. Et, un jour alors qu’il était à Paris, on me convoque, je mets 3 pulls, des vêtements amples, je vais le voir. On parle. Plus tard, on m’appelle pour me demander de faire des photos. Et puis pas de nouvelles. Jusqu’à ce que la production me convoque à nouveau ; je passe, et là je me découvre sur tous les murs, en grandes photos. Et Ferreri me dit qu’il va me prendre pour le film. Mais il insiste bien, « il faut que vous preniez 20 kilos », je lui dis « oui, oui » et alors là, j’ai mangé 5 fois par jour, et, en 2 mois, j’ai pris 20 kilos.
CINEMAPOLIS : Quel est votre actualité aujourd’hui ?
A. FERREOL : Du théâtre avec les Monologues du Vagin, de la télévision. Malheureusement pas de cinéma. J’aimerais bien, mais bon ça va revenir.
CINEMAPOLIS : Je vous remercie beaucoup !
En remerciant Elise Borgobello et Mathilde Gibault de Carlotta Films pour avoir rendu l’interview possible.
Titre : Despair
Réalisation : Rainer Werner Fassbinder
Scénario : Tom Stoppard d’après La Méprise de Vladimir Nabokov
Casting : Dirk Bogarde, Andréa Ferréol
date de ressortie : 28/03/2012
Année de sortie originale : 1978