Ça rend heureux, le premier long métrage de Joachim Lafosse, cinéaste belge, sort sur les écrans le 27 septembre en Belgique (aucune date pour la France). Son moyen métrage, Folie privée, a reçu plusieurs prix dans différents festivals de films en 2003 : Meilleur film européen à Locarno, Prix de la critique internationale à Bratislava…
Ça rend heureux, est l’histoire de Fabrizio, cinéaste au chômage qui décide de faire un nouveau film en dépit du fait qu’il est démuni et que sa vie personnelle n’est pas au beau fixe. Il va alors prendre un certain plaisir à mêler réalité et fiction dans l’écriture de son scénario.
Et celui-ci rappelle étrangement le vécu de son réalisateur, Joachim Lafosse. Il a eu l’idée de son film en faisant la file au bureau de pointage de Saint-Gilles (commune bruxelloise). Ça rend heureux, c’est l’histoire de chômeurs ordinaires qui agissent et se solidarisent en créant un film ensemble. Peu importe les différences de langues, néerlandophones et francophones s’unissent pour créer un projet ensemble, en plein cœur de Bruxelles.

L’histoire du cinéaste dans le film est-elle basée sur votre propre expérience ?
En partie… C’est la bonne question car c’est ce qui a déterminé mon envie de faire ce film. On n’est jamais identique à soi-même. Un être, c’est toujours une énigme, on est multiple. Un être, c’est complexe. Donc je peux jouer de moi-même, me mettre en scène, je peux demander à mes amis de se jouer d’eux-mêmes. Ça rend heureux, c’est des amis qui ont un rêve ensemble et essayent de le réaliser. Et ils montrent dans cette aventure qu’ils se jouent d’eux-mêmes, qu’ils peuvent jouer leur propre rôle. Ce n’est pas parce qu’on est chômeur qu’on ne peut pas avoir de projet ; ce n’est pas parce qu’on sort d’une relation amoureuse qu’on ne peut pas retomber amoureux.

Il vous est déjà arrivé d’aller demander combien d’entrées avait fait votre film au cinéma, comme Fabrizio le fait dans Ça rend heureux ?
Oui ! Folie privée a fait très peu d’entrées et j’allais voir combien il en avait. Pour que le film existe, il faut que les gens aillent le voir. Je trouve ça normal qu’un cinéaste aille voir les entrées de son film. C’est important qu’il n’y ait pas que des films pop-corn à l’affiche. C’est bien d’avoir une alternative avec des films belges.

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Les affiches de Folie privée, que Fabrizio colle comme celles de son film, c’est un clin d’œil ou c’est pour brouiller les pistes ?
On n’avait pas assez d’argent pour faire de fausses affiches donc on a utilisé les vrais. Et c’était une façon de faire entrer la réalité dans le film. Un auteur, ce n’est pas forcément quelqu’un qui a beaucoup d’imagination, c’est quelqu’un qui choisit.

Dans le film, les personnages sont souvent bilingues, à l’image de la Belgique, de Bruxelles. Dans quel but ?
A l’image de la réalité de Bruxelles surtout. Mon ex-compagne était néerlandophone. Je vais dans des cafés néerlandophones. Pour moi, c’est mon Bruxelles. C’est une façon de répondre aux politiques qu’il y a une autre façon de voir le conflit. C’est une image de Bruxelles, mais pas comme la montrent les politiques.

A la fin, le cinéaste apprend à parler néerlandais, y a-t-il un message dans cette évolution du personnage ?
C’est le sujet du film. Ce n’est pas parce qu’on est chômeur qu’on ne peut pas prendre des initiatives, ce n’est pas parce qu’on ne connaît pas une langue qu’on ne peut pas l’apprendre. On est dans le bonheur et pas dans la consommation.

Pourquoi le film s’appelle-t-il Ça rend heureux alors que le cinéaste n’a jamais l’air heureux pendant le film ?
C’est ta vision des choses. C’est quoi le bonheur? Pour moi, c’est quelqu’un d’heureux car il vit dans la réalité. Il a fini par faire son film avec ses amis. Ce n’est pas la vision du bonheur version H&M; ou Häagen-Dasz. Il est content de montrer son film. Mais je suis d’accord avec toi, ça a l’air compliqué pour lui. Même si le film s’appelle Ça rend heureux, le sujet du film c’est le bonheur. A travers ça, on se demande ce qu’est le bonheur. Ce qui compte, c’est de se poser la question.

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Dans le film, il y a une scène dans un bar où Mariet dit que le plus difficile c’est de gagner de l’argent, est-ce que pour vous c’est le cas aussi ?
C’est un moment concret dans le film. Ça dépend pour qui, c’est à regarder au vu de chaque personnage. Pour moi, l’argent et l’amour sont difficiles. Mais l’amour, c’est quand même vachement compliqué ! Le plus important, c’est de vivre dans le désir. Le désir, c’est quelque chose qu’on construit, c’est l’antithèse de la pulsion.

Comme pour Fabrizio, vous avez mêlé réalité et fiction dans Ça rend heureux, c’est une nécessité pour vous ? Ou ça se fait naturellement ?
C’était décidé dès le début. On s’est amusé avec ça. Le film est très écrit. Ça doit être très structuré dans le scénario pour que le spectateur s’en amuse.

Finalement, Fabrizio et sa femme se sont-ils quittés ? Car dans le film ce n’est pas clair. Dans le scénario de Fabrizio, ils ne sont plus ensemble mais elle reste présente durant tout le film…
Ils se sont séparés. Ils font un film ensemble, ils se voient encore mais ils se séparent. Ils arrivent à se séparer grâce à ce film. Se séparer, c’est transformer une relation. Avec le cinéma, ils transforment une relation. Ne plus vivre ensemble, c’est être ensemble d’une autre façon, et peut-être de se rapprocher. Fabrizio et Anne ne devaient peut-être pas être ensemble, ils devaient peut-être plus être amis qu’amants.

Au final, c’est un message positif, des chômeurs francophones et néerlandophones qui s’allient pour créer un projet, mais ce n’est pas un peu utopique ?
Est-ce que le film n’est pas une preuve justement que ce n’est pas une utopie ? Dans l’équipe, il y avait des francophones et des néerlandophones qui travaillaient ensemble. C’est la preuve que c’est possible. Les francophones et les néerlandophones travaillent ensemble et vivent ensemble, c’est une réalité. Ce film est justement la preuve que ce n’est pas une utopie, c’est la réalité… Il n’y a pas beaucoup de films belges qui montrent ça, même si Belvaux l’a un peu fait.

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Pour vous, c’est important tous les prix que vous avez déjà reçus ? Ou la reconnaissance du public est plus importante que celle des professionnels ?
L’un et l’autre sont importants. C’est un peu la même chose. Le jury est un public. Je ne suis pas Hollywood et toute la puissance du marketing. Donc, c’est un peu ma seule arme. C’est un lieu de contre-pouvoir. Ce dont on parle, c’est de qualité. Comme on a que ça avec nous…

Que pensez-vous de la manie qu’ont les Français de s’approprier les cinéastes francophones belges ?
C’est un vrai compliment, je trouve, qu’ils se les approprient seulement. Je ne crois pas à l’auto-engendrement. On vient de quelque part. Il y a de l’argent français dans les films belges et il y a de l’argent belge dans les films français. Ce que je n’aime pas, ce sont les films pudding, des films qui ont pour seule fonction de mettre en place un financement à travers tous les moyens possibles. Ça donne des films sans identité. Tu sens qu’il y a un acteur italien car il y a de l’argent italien, qu’il y a un acteur français car il y a de l’argent français. Les cinéastes sont les premiers responsables de leurs films. Les frères Dardenne ne se plaignent pas d’être récupéré par le cinéma français ! Le vrai problème, c’est que les films francophones belges n’ont pas de succès en Belgique. Les Belges ne vont pas voir les acteurs belges qui jouent dans des films belges. En Belgique, le public ne suit pas leurs auteurs. C’est un problème mondial, aujourd’hui tout le monde va voir les films américains. Le public les regarde au cinéma, à la TV. Ce sont les films qui occupent toutes les salles.

Joachim Lafosse vient d’achever le tournage de son prochain film, Nue propriété, un drame familial avec Isabelle Huppert, Jérémie Renier et son frère Yannick Renier, sortie le 24 janvier 2007 en Belgique, et le 21 février 2007 en France