Les grandes espérances ne vont pas sans déceptions ; Ne le dis à personne n’est pas un mauvais film, mais il agace, parce qu’on y lit la promesse d’un film meilleur. Le titre n’est pas sans rappeler la fin des Diaboliques de Clouzot : clin d’œil furtif au spectateur, il est un appel au secret, la préservation ultime du dénouement de l’intrigue, qui fait, avouons-le, tout son intérêt (et son charme). Là encore, il est question de résurrection et de machination : huit ans après l’assassinat de sa femme par un serial killer, un pédiatre reçoit par Internet des images qui la montrent bien vivante et entreprend de résoudre une énigme qui semble dépasser toute intelligibilité.

Mais l’ombre des romans de Boileau et Narcejac (on pense aussi à Vertigo) ne joue pas en faveur du film. Que sont devenus l’arrière-goût de nécrophilie, l’hésitation permanente entre le bien et le mal, la délicieuse faiblesse de héros victimes de leurs propres fantasmes ? Tout est noyé sous une mise en scène qui privilégie l’intrigue aux dépens de tout ce qu’elle cèle, et, en outre, multiplie les maladresses. Des coups de théâtre assénés in extremis (flashs-back peu subtils à l’appui), une dernière scène mièvre à souhait, une accumulation interminable de péripéties qui nuisent au rythme d’ensemble…

Le point fort du film (on ne s’en étonnera pas), c’est son interprétation ; François Cluzet, jouant sur le côté “antihéros” d’un personnage dépassé par les événements, provoque l’adhésion du spectateur, tandis que la pléiade de seconds rôles transforme le film en un tourbillon de visages connus, qui lui confère discrètement une dimension ludique ; ce “second degré” qu’introduit le plaisir de reconnaître des grands acteurs, de les voir, le temps de quelques séquences, construire brillamment un personnage et, éventuellement, jouer avec leur image (à l’instar de Nathalie Baye, indécrottable femme de tête), donne au film un soupçon de légèreté et de subtilité que l’on aurait voulu plus prononcé.

Car un film à suspense, au fond (le modèle hitchcockien en a fourni la preuve éclatante), repose essentiellement sur le jeu : jeu avec les nerfs du spectateur, avec son attente, son dépaysement éventuel – plaisir de la manipulation qui n’est pas sans aller avec un certain cynisme. D’une certaine manière, Ne le dis à personne souffre encore de se prendre trop au sérieux et de croire que la virtuosité réside dans la démonstration, là où des ellipses et une révélation plus patiente et moins appuyée auraient été les bienvenues ; défaut qui est de taille, mais que l’on pardonnera à Guillaume Canet, dont ce n’est, après tout, que le second film, et qui parvient tout de même à livrer un thriller relativement efficace… mais qui aurait pu l’être davantage.

Ne le dis à personne
Réalisation : Guillaume Canet
Scénario : Guillaume Canet et Philippe Lefebvre
Dialogue : Guillaume Canet
D’après l’oeuvre de Harlan Coben
Adaptatée par Guillaume Canet
Interprétation : François Cluzet, André Dussollier, Marie-Josée Croze
Pays : France
Genre : Thriller
Durée : 2h 5min
Date de sortie en France : 01 Novembre 2006
Année de production : 2006
Distribué par EuropaCorp Distribution