Cette fois, il y a tout pour plaire. On pense aux détails lyrico-stylistiques comme le cigare à la main ou la cannette de Red Bull qui passe entre bottes et flingues. On se délecte des touches d’humour noir et hasardeux comme la balle recrachée de la soupe conviviale, la fusillade fumeuse en pleine opération chez le médecin underground, jusqu’au jeu de pile ou face aux carrefours cruciaux. On se rappelle la séquence d’ouverture surréaliste, dont les premiers plans composés à la manière d’un western samouraï. On retrouve la nostalgie gamine des vieilles photos de famille, et on reconnait le macho-homo-érotisme de leurs rapports adultes, jusqu’à Lam Suet le pantalon baissé. Mais, surtout, on revoit la camaderie familière de la bande à Johnnie, reproduit par le studio légendaire du réalisateur, Milkyway Images. Bref, ce film best of a tout pour plaire mais rien pour étonner.

Cela se passe à Macau en 1999, dans le chaos et la corruption des triades juste avant le retour officiel à la Chine autoritaire. Les copains d’enfance ont grandi en hommes sans scrupules soumis à la force du destin et du désespoir au crépuscule d’une époque. Le tournage à Macau permet effectivement de varier les décors en se rapprochant du western aux paysages désertiques et aux truands en exil dans une colonie européenne. Il y a même Richie Jen en flic ripou local qui joue de l’harmonica près du feu de camp. Après tout, l’histoire, c’est le moindre de nos soucis.

On peut se régaler du casting de The Mission bis, sauf qu’à la place de Jackie Lui on retrouve le jeunot en hausse Nick Cheung (qui vient de jouer un autre rôle d’ancien membre de triade pour Herman Yau dans On The Edge, également à l’affiche avec Francis Ng et Anthony Wong – ce qui en dit long sur le star-système hongkongais), et que dans Exiled la coiffure de Roy Cheung est décidément moins sympa. Quant à l’incontournable Simon Yam, il s’amuse visiblement à jouer ici le méchant boss sadique et vengeur – tout le contraire de son rôle répressif et hypocrite dans les deux Élection précédents.

Mais la soif de vengeance meurtrière appartient à la nouvelle venue de la famille To, la comédienne dramatique Josie Ho, toujours à l’aise à Macau, en bonne fille de son papa magnat des casinos macanéens. Son personnage parle peu mais pleure quand il le faut, puisqu’il faut bien que, dans un film de ce genre, d’un côté une mère pleure avec le bébé dans les bras et de l’autre une pute au cœur de marbre se casse avec l’or.

Dès l’entrée en Exiled, on est déjà dans la diégèse de Johnnie To. Pas besoin d’explications pour ceux qui connaissent, pas besoin de justifications pour les fans qui adorent, ses acteurs phare reprennent leurs personnages types avec le raccourci d’une suite à succès, sans besoin de développer ni les rapports ni l’intrigue. Dans The Mission on est pro, dans la suite on déconne. Monsieur To sait bien qu’on est venu le voir, il est fort et il le sait ; autant déchaîner son égotisme pour faire plaisir à tout le monde. Cela nous rappelle le private joke autosuffisant du Ocean’s Twelve de Steven Soderbergh, ou encore le spectacle narcissique qu’était 2046 de Wong Kar-wai.

Si ce n’était pour le génial Johnnie, Exiled pourrait s’appeler de l’autocomplaisance. Ceci dit, il ne s’agit pas moins d’un des derniers bons cinéastes établis et intègres de Hong Kong, digne d’être exporté à l’étranger et toujours adoré en Europe. Et puis une reprise stylistique et thématique de The Mission aux accents poétiques de Throw Down, ce n’est quand même pas si mal que cela. On critique, mais on ne se plaint pas.

Exiled
Titre original : Fong Juk
Réalisation : Johnnie To
Scénario : Szeto Kam-Yuen, Yip Tin-Shing
Interprétation : Anthony Wong, Francis Ng, Nick Cheung, Josie Ho, Lam Suet, Roy Cheung, Simon Yam, Richie Jen

Pays : Hong Kong

Genre : Suspense

Année de production : 2006