Pièges de l’analyse idéologique
Laurent Aknin a publié un essai sur le mythe dans le cinéma américain moderne. Il analyse les films tournés à partir du 11 septembre 2001 et postule un rapport entre la politique des Etats-Unis et les productions hollywoodiennes.
Je ne vais pas nier que le 11 septembre a marqué de son empreinte le cinéma américain. Un film, quelque soit son origine, reflète son époque. Mais c’est justement là le piège : c’est qu’il est possible de tout faire coïncider avec un événement d’une telle ampleur. Quelque chose d’aussi générique que le 11 septembre, qui dit l’agression, la menace, le danger intérieur comme extérieur, prête à tous les parallélismes. On pourrait tout aussi bien considérer tous les films américains tournés dans les années 80 et constater, en utilisant les mêmes outils analytiques, qu’ils ont été tournés en réaction au 11 septembre.
Le risque de ce type d’analyse tient aussi de ce qu’un film, en tout point imprévisible, soit perçu rétrospectivement comme représentatif de son temps. De Titanic (James Cameron, 1997), par exemple, on dira aujourd’hui qu’il correspondait exactement à ce qu’attendait le public de la fin des années 90. Or, à sa sortie, il était en rupture totale avec la manière de concevoir le cinéma d’alors. Est-il venu s’insérer dans un espace vide ou a-t-il modifié l’idée qu’on se faisait d’un grand spectacle, là est la question. J’incline, pour ma part, à croire que le public n’a aucune morphologie particulière. Un film crée un public plus qu’il ne vient combler ses attentes.
On entend souvent dire « aujourd’hui, un film comme ça ne serait pas possible » et son inverse – mais qui revient au même – « à l’époque, un film pareil aurait été impossible. » Mais qu’est-ce qui permet d’affirmer cela ? N’est-ce pas toujours une façon de voir un film comme un symptôme de son temps et de s’interdire de l’envisager comme une dynamique nouvelle ?
Sur quels critères évaluent-on ce qui aurait pu être fait et ce qui n’aurait pas pu l’être, sinon, par le simple constat de ce qui a été tourné. Comme si à telle époque devait sortir tel film. L’histoire du cinéma paraît être ainsi préécrite.
En fait si Titanic n’avait jamais été tourné, on dirait sans doute à l’heure actuelle qu’il eut été impossible qu’un mélodrame de 3h fut tourné à la fin des années 90 et qu’il emporte un quelconque succès. Ce faisant on procède à une sorte de redressement de l’histoire, de remise dans les rails : ce qui n’était qu’une suite de ruptures devient une ligne droite, l’adéquation forcément prévisible de la culture avec l’air du temps. Peu étonnant de ce point de vue que les théoriciens comme Laurent Aknin finissent par voir des films prophétiques. Ainsi de Fight Club (David Fincher, 1999) film « lucide et visionnaire » qui, selon lui, sut anticiper le tragédie du 11 septembre.
Sa théorie en outre s’appuie sur une pérennité des symboles. Il avance, par exemple, que dans le péplum classique l’empire romain incarne la domination des Etats-Unis. C’est possible que les américains dans les années 50/60 aient vus dans l’Ancienne Rome une métaphore heureuse de leur hégémonie. Admettons. De même, en pleine Guerre Froide, le thème de l’invasion extra-terrestre est venu très naturellement se superposer avec la peur de l’agression russo-soviétique. Mais de ces constations très contextuelles Laurent Aknin fait des symboles figés : l’empire romain est les états-unis (et ne pourra rien être d’autre.) Dans le nouveau péplum, celui d’après le 11 septembre, l’action ne pourra donc plus se passer à Rome, mais se déportera en Grèce – dont il prétend par ailleurs qu’elle était absente du péplum classique ; affirmation étonnante tant elle est fausse. L’Empire meurtri cède la place aux forces individuelles, aux héros, sans doute les pompiers et autres sauveteurs des attentats.
Quant aux extra-terrestres, il affirme leur absence des écrans entre les années 50 ( période où donc ils représentaient la menace communiste ) aux années 2000. Il soustraie Independance Day (Roland Emmerich, 1996) ou Mars Attacks (Tim Burton, 1996) – pour ne citer que ceux-là – de son compte au titre qu’ils ne génèrent pas d’angoisse et ne peuvent donc être perçus comme des films où les aliens traduisent le climat paranoïaque des Etats-Unis. Pirouette qui ne dupe que lui.
Aknin relève ainsi le retour des super héros, absents des écrans depuis que les EU n’ont plus « d’ennemis identifiés » – soit donc, depuis l’effondrement du bloc soviétique – le retour de conflits manichéens dans la Science-Fiction, une disparition des films d’exploration spatiale au profit de films d’invasion, des films catastrophes qui ne fonctionnent plus sur le principe de l’évitement mais de l’encaissement, etc…
Tous ces points pourraient être considérés un à un mais ce serait trop long. Relevons donc seulement que dans la perspective de Laurent Aknin, le succès d’un film se comprend dans sa capacité à adhérer au discours idéologique de son temps. Sa qualité intrinsèque importe peu. (Ce critère pour moi le plus important, difficile sinon impossible à mesurer, rend opaque l’histoire du cinéma, raison pour laquelle il est peu pris en considération dans les études )
Ainsi écrit-il évoquant l’échec de The Core (Jon Amiel, 2003) : « on peut incriminer la stupidité du scénario, son total manque de vraisemblance, la médiocrité de comédiens peu aidés par les dialogues, mais ces défauts étaient déjà présents dans les 2 films précités. » Les 2 films en question ( Armaggedon, Michael Bay et Deep Impact, Mimi Ledder 1998 ) ayant eu du succès, Aknin s’explique donc l’échec de The Core parce qu’il n’a pas su prendre en compte le choc post 11 septembre. (Son point de vue sur la question étant que le catastrophe doit se produire ) Qu’il s’agisse d’un film médiocre, comme il le reconnaît, n’a rien à voir.
C’est dire à quel point le public serait imprégné lui-même du système idéologique qu’il met en évidence. Le public n’est guère plus qu’une mesure : celle de la perméabilité des idées du temps.
Il y a quelque chose là-dedans qui me paraît être d’une rigidité extrême, qui impose qu’on ne puisse comprendre un film que par son exacte adéquation avec l’actualité immédiate. Le public n’est plus sensible à la force de l’histoire mais à sa synchronicité avec les idées de son temps. (Que ce soit par adhésion ou par contestation, peu importe )
Le 11 septembre demande des sauveurs, il y aura des sauveurs. Voilà le succès des films de super héros. On le sait pourtant les années qui ont précédé les attentats ne manquaient pas de héros ; certes ils n’avaient pas de collants moulants, mais ils n’en sauvaient pas moins la Terre. Quant aux histoires de terrorisme, elles ont plus proliféré dans le courant des années 90 qu’après les attentats. (Piège de Cristal, John Mc Tieran, 1988, Piège en Haute Mer, Andrew Davis, 1992, True Lies, James Cameron, 1994 etc…)
N’y a-t-il dans le fond qu’un public, masse indistincte réactive aux tendances du moment, ou une somme d’individus, qu’émeut avant tout la capacité d’une histoire à entrer en résonance avec ses conflits personnels ?
Mythes et Idéologie du Cinéma Américain
Laurent Aknin
217 pages, 8€
Vendémiaire