Les super héros sont des individus dotés de facultés extraordinaires. Nous avions relevé dans un précédent article* dans quelle mesure leur « réserve secrète » de force correspondait au désir de reconnaissance – de l’adolescent en particulier. Les « super pouvoirs » c’est, comme on dit à l’école, le potentiel de l’adolescent. Potentiel parce qu’ils ne se manifestent pas au grand jour mais seulement dans une sorte de vie parallèle. Anonyme dans la vraie vie, c’est Clark Kent ou Peter Parker, extraordinaire dans une vie autre, celle où on leur laisserait la chance de montrer ce dont ils sont capables, c’est Superman ou Spiderman. Il y a la vie réelle et la vie héroïque, qui est un fantasme ; c’est le principe de la double identité du super héros.
C’est donc sur la reconnaissance des super pouvoirs par la société que repose généralement l’enjeu dramatique des histoires de super héros, soit sur la reconnaissance du potentiel de tout un chacun.
On constate une évolution dans le traitement de cette idée. Initialement, regrouper les 2 identités, celle du type ordinaire et celle du type extraordinaire, nécessitait pour le héros en devenir, de gagner la confiance soit de la société – qu’il veut intégrer – soit d’une femme – qu’il veut séduire. Ni l’une ni l’autre ne savent qu’il a des super pouvoirs cachés mais, à un moment, croient en lui, croient en ses possibilités, et lui laissent l’opportunité de se dévoiler. C’est la fin du film quand le masque tombe et que Lois Lane découvre que Kent est Superman, que Mary Jane découvre que Peter Parker est Spiderman. Mais c’est avant tout gagner la confiance de ceux qu’on aime ou de qui on veut être respecté qui importe. Le potentiel est en chacun de nous, voilà ce que disent en substance les histoires de super héros, et voilà pourquoi elles ont tant de résonance auprès du jeune public.
Cependant, les nouvelles adaptations retournent la problématique. Il n’y a plus un potentiel à dévoiler, la nature exceptionnelle du héros est donnée d’emblée ; c’est un fait, c’est un acquis, quelque chose d’incontestable. Il ne s’agit plus de montrer ce qu’on vaut ou de prouver qu’on peut être extraordinaire, mais de consentir à donner un peu de soi aux autres. Ça n’est plus « laissez-moi ma chance », ça devient « dois-je faire un effort pour vous ? ».
Ainsi donc du dernier Wolverine ( Le Combat de l’Immortel, James Mangold, 2013 ) Le héros vit reclus, isolé, méprise la société humaine, forcément inférieure à lui – représentée par les hommes qui blessent à mort l’ours – et se promet de ne plus avoir affaire avec qui que ce soit. On voit que notre figure de l’adolescent n’est pas très loin. Il est alors sollicité par une femme qui sait qui il est, qui sait à quel point il est fort, qui lui est obscurément redevable, et qui lui demande son aide dans une affaire quelconque. Elle a besoin de lui, ses proches ont impérieusement besoin de lui ; lui, par contre, n’a besoin ni d’elle ni d’eux. Consentir à mettre ses pouvoirs extraordinaires au service des autres, voilà le questionnement de Wolverine. Cela se traduit par renoncer à son immortalité, soit s’extraire de sa carapace, de son refuge intérieur, et reconnaître que, peut-être, on veut faire partie du monde normal. C’est se faire intégrer non plus en « faisant ses preuves » mais en attendant qu’on soit suffisamment appelé et désiré. On est passé du « je crois en toi, montre-moi ce que tu vaux » à « tu es parfait, peux-tu nous céder un peu de ta grâce ? »
On comprendra bien sûr pour quelles raisons Wolverine broie du noir au début du film : sa supériorité est virtuelle. Il faut qu’il renonce à croire en elle. Et qu’il prouve sa force et sa valeur par des moyens humains – raison pour laquelle il se fait trancher ses griffes à la fin du film. C’est sur ce point que l’approche moderne rejoint le plus l’approche traditionnelle : le triomphe du super héros n’est possible que s’il renonce à ses pouvoirs.
De cette thématique, vient la notion de responsabilité présente dans la plupart des derniers films de super héros ( Batman, Iron Man, Superman, Spiderman, etc… ) Entendu que la force, le caractère exceptionnel de l’individu est donné d’emblée, il se tourmente à l’idée de se mettre au service d’autrui, de faire profiter le commun des mortels de sa personne. L’humanité le mérite-t-il ? Là est la question.
Ce traitement actuel des histoires de super héros – Iron Man, par exemple, se structure sur le même modèle – il a tout et il se demande s’il doit faire un effort pour les autres – parle bien plus à notre génération. Dans le système d’intégration sociale, ça n’est plus à soi de faire un effort, mais c’est à la société d’en faire un. Nos capacités sont des acquis ; nous ne sommes plus potentiellement extraordinaires, nous le sommes naturellement, nous exigeons une reconnaissance de principe, et nous préférons penser que nous concédons à un effort plutôt que nous acceptons d’avoir à le produire dans le but de nous faire-valoir.
Est-ce que ça ne revient pas au même ? Le super-héros s’ostracise parce qu’il se sait ou croit être supérieur à la société des hommes, à sa brutalité, à ses aspirations médiocres, juge-t-il. En consentant à la secourir, et à en faire partie, il renonce à être un personnage de fantasmes, il quitte son univers imaginaire, ses attributs surnaturels, pour devenir quelqu’un de normal ; en somme, il affronte la réalité – dans laquelle on forcément plus vulnérable.
PS : Pour les personnes qui n’ont pas encore vu le film Wolverine, pensez à mettre un “spoiler alert”.
Pas tout à fait.
Il faut toujours qu’à la fin il brille dans son costume. Dans un cas, il ne révèle qu’il est un super héros qu’après avoir prouvé son courage sans son costume.
Dans l’autre, il perd son costume, prouve son courage malgré tout et, de fait, le réendosse plus dignement que jamais.
Petit exemple : dans Iron Man, le personnage incarné par Gwyneth Paltrow (Pepper Potts) sait dès le début du film que, dans le fond, Tony Stark n’est pas le salaud que tout le monde croit. Mieux encore même, il a une honnêteté, une pureté qui le place bien au-dessus du commun. Mais même si elle le sait, il faudra quand même qu’il lui prouve ( Qu’il lui prouve qu’elle avait raison de croire qu’il était le meilleur, si tu veux )
Parallèle intéressant,
les films de super-héros d’aujourd’hui trouvent une résonance à notre époque si particulière. Que va être la prochaine thématique de ce genre, après monsieur tout le monde devenu exceptionnel, et des héros essayant de retrouver un peu d’humanité ?
Plus gargantuesque, j’ai beaucoup aimé Pacific Rim :]
La nouvelle tendance ?
Eh bien, je les vois devenir plus égocentriques, plus individualistes. C’est un peu cette pente que le genre suit finalement.
J’ai bien aimé Rim aussi –