Gabriel Mariño est le réalisateur et scénariste du film Un Mundo Secreto en compétition au festival Cinelatino qui se tient à Toulouse du 23 mars au 1ier avril. Il a accepté de répondre aux questions de Cinemapolis le 27 mars 2012, le lendemain de la première projection publique de son film.
Cinemapolis : Le personnage principal de votre film, Maria, est-il un personnage mexicain ? On songe immédiatement aux hobos américains, type Wendy du film Wendy et Lucy, quand on la voit à l’écran ?
Gabriel Mariño : Le film Wendy et Lucy m’a influencé. Je l’ai vu pendant l’écriture de mon scenario. Mais, mon film est très différent. Je croise beaucoup de jeunes à Mexico City qui sont en recherche. On ne sait pas trop ce qu’ils aimeraient trouver. Peut-être qu’eux-mêmes ne le savent pas non plus. J’ai compris que cela serait plus intéressant de trouver cette réponse en épousant le point de vue d’une femme, de raconter cette histoire du côté féminin, de réfléchir sur le genre. C’est un film de mères, de filles, de baleines enceintes et puis, c’est un film sur le Mexique qui à travers le voyage apparaît comme la grande mère de tous.
Cinemapolis : Les pères sont absents dans votre film. Rolandito grandit sans son père parti travailler aux États-Unis. Maria vit seule avec sa mère. Son amoureux, Juan, la quittera pour tenter sa chance de l’autre côté de la frontière. Est-ce que l’absence de père est la raison principale du comportement bizarre de votre héroïne ?
Gabriel Mariño : Je pense qu’au Mexique, et peut-être aussi dans d’autres pays, on assiste à une grande crise familiale. Les pères mais aussi les mères sont absents. Il y a un grand vide pour les jeunes qui manquent de figures familiales…Je pense aussi au gouvernement mexicain qui est un père abandonnant, qui ne s’occupe pas de ses fils (…) J’avais envie de réfléchir sur cet état de fait, sur ces parents absents…
Cinemapolis : A l’instar des personnages d’un autre film de la compétition, Zoologico, Maria, l’héroïne principale d’Un Mundo Secreto est issue d’une famille plutôt favorisée. Pourtant, elle est quasiment autiste, elle est incapable de faire preuve de chaleur humaine contrairement aux jeunes qu’elle rencontre sur la route qui eux sont issus de couches sociales défavorisées. Pourquoi ?
Gabriel Mariño : Au Mexique, il y a des écarts très grands entre les différentes classes sociales. C’est quelque chose que l’on ressent au quotidien et avec quoi, on apprend à vivre en permanence comme tu as peut-être pu le constater… avec la couleur de peau qui est aussi une question de statut. Ta question présente deux aspects. Pour moi, c’était très important de montrer ces contrastes basés sur les différences d’éducation et de moyens économiques. Maria a résolu tout ce qui pouvait poser problème d’un point de vue économique, contrairement à Juan et à Rosita mais elle est empêtrée dans les problèmes affectifs.
J’ai souvent rencontré des personnes qui n’ont pas eu les mêmes opportunités économiques que moi, qui sont confrontés à des difficultés financières et à chaque fois, leur chaleur, leur générosité, m’aident beaucoup et me permettent de voir la vie sous un autre angle.
Ensuite, grâce au cinéma, j’ai pu voyager, en Europe, pour étudier ou montrer mes films et surtout aux États-Unis. Là-bas, j’ai souvent discuté avec des cuisiniers qui vivent à New-York par exemple, séparés de leurs familles. Et quand je retourne au Mexique, quand je voyage dans mon pays, je rencontre sur les lieux de tournage des femmes qui élèvent seules leurs enfants parce que leurs maris sont partis travailler aux États-Unis. Leur situation, des deux côtés de la frontière, m’a ému profondément et je voulais le dire dans mon film (…)
Au Mexique, c’est très fréquent de rencontrer des personnes malmenées par qui font preuve d’une générosité extrême avec les étrangers, c’est souvent les plus pauvres qui sont le plus accueillants.
Cinemapolis : La sexualité tient un rôle très important dans votre film.
Gabriel Mariño : Oui, c’est vrai que cet aspect est essentiel. Je cherchais un moyen de montrer les conséquences du caractère de Maria et en même temps permettre au spectateur de comprendre les causes de ce mépris pour elle-même… Évoquer une atmosphère particulière qui expliquerait pourquoi Maria ne prend pas soin d’elle… Montrer quelque chose qui suggère dans quelle ambiance elle a grandi et les problèmes qu’elle doit aujourd’hui affronter. La sexualité permettait tout cela (…) Il fallait trouver quelque chose de l’ordre des affects…et le comportement sexuel de Maria est lié au manque d’affection dont elle a été victime…Elle n’a pas appris à recevoir et à donner (…) Souvent, au cinéma ou en littérature, on te montre les conséquences et pas les causes de certaines actions. A moins d’être témoin ou de filmer et décrire une personne sur un long laps de temps, on ne comprend pas ce qui est à l’origine de certains comportements. La sexualité de Maria, c’est quelque chose de très intime qui permet de comprendre son fonctionnement et les raisons qui la poussent à agir ainsi. C’était un moyen pour moi d’établir une relation entre le spectateur et elle…
Cinemapolis : Comment cet aspect du personnage (une sexualité assez libérée) a été perçu par le public mexicain ?
Gabriel Mariño : Plutôt bien…Vous savez le Mexique s’est libéré sur le plan sexuel ces dernières années, surtout dans les grandes villes et la capitale. En plus, le spectateur est habitué à voir de nombreuses scènes de nudité, les choses ont changé (…) Le problème au Mexique, ce n’est pas tant de savoir comment ce type de scènes vont être reçues mais plutôt comment ce type de film, un film d’auteur, va être compris. Je pense que mon film sera plutôt destiné à des cinémathèques, des salles art et essai. Les critiques jusqu’à présent sont très bonnes mais je ne me fais pas d’illusion, mon film ne bénéficiera pas d’une énorme distribution dans le circuit de diffusion commercial.
Cinemapolis : Est-ce que cela n’est pas un peu frustrant ?
Gabriel Mariño : Non, pas du tout. Partout dans le monde, il existe de nombreux réseaux de distribution pour des films comme le mien, dans les festivals, les salles indépendantes…Au Mexique, la distribution sera peut-être plus limitée qu’en Europe. Cela ne signifie pas que le nombre de spectateurs sera réduit. Il y a de nombreux mexicains qui aiment ce type de cinéma, il y a aussi un public pour ce type de films là-bas. Mais, ce que je veux dire, c’est que d’un point de vue personnel, je ne ressens pas la nécessité que mon film parte à la conquête des salles dans toute la planète, qu’il soit sur tous les écrans du monde… Il y a des personnes qui aiment les films d’action ou les comédies romantiques à l’américaine. Moi, c’est moins mon truc. Par contre, je pense qu’en tant que créateur, il faut rester fidèle à sa vocation, ce qui vous fait naître comme artiste. C’est ce que je vais continuer à faire.
Cinemapolis : Merci d’avoir pris le temps de répondre aux questions de notre revue. Bonne chance au film !
Un Mundo Secreto remporte le prix lycéen de la fiction aux 24ièmes Rencontres de Toulouse, festival Cinelatino. Félicitations !