C’est donc à quatre mains que ces passionnés de Scorsese et Fellini se sont lancés il y a deux ans le pari de faire revivre l’héroïne de la bande dessinée éponyme en 2D noir et blanc sur grand écran.

Une histoire avant de s’endormir

Téhéran, 1978. La jeune Marjane, enfant unique et choyée d’une famille moderne et cultivée, se rêve en dernier prophète de l’univers. C’est avec une exaltation évidente qu’elle suit alors les évènements menant à la révolution et à la chute du régime du schah. Sans pour autant tout comprendre. C’est ce premier sentiment que fait partager Marjanne Satrapi, créatrice de ce récit autobiographique. Les combats politiques ne sont pas vraiment expliqués, juste énoncés. L’histoire est un peu floue, un peu déformée, un peu incomplète, à l’image de ce que vivait la gamine d’alors. Aucune importance. Il faut juste écouter et se souvenir, comme lui susurrait son oncle révolutionnaire avant d’être exécuté.

Un humour noir et blanc

Avec l’instauration de la République islamique débute le temps de la répression intérieure contrôlant tenues et comportements. Un enfer pour Marjane, désormais voilée, qu’elle raconte pourtant avec humour. Un humour noir, forcément. Presque un humour juif cher à Woody Allen. Le rire comme seul rempart à l’horreur qu’ont vécu ces deux peuples. La satire comme dernier souffle. “Tant que je rirai, ils ne m’auront pas”, clame aujourd’hui la dessinatrice. C’est aussi par ce ton désinvolte que s’ouvre à nous le cercle très (trop) fermé des Iraniennes. Ici trois générations de féministes cohabitent : la grand-mère combative et fière, la mère résignée et l’ado nouvellement révolutionnaire à la langue trop pendue. Une insoumission qui lui vaudra de s’exiler à 14 ans en Autriche pour en revenir brisée. Trois personnages hauts en couleur délicatement et justement interprétés par Danièle Darrieux, Catherine Deneuve et sa fille Chiara Mastroianni. Trois femmes de caractère, trois voix singulières jouant les scènes avant même leur réalisation sur grand écran. “Pour une plus grande liberté d’action”, précise la scénariste. Liberté encore et toujours. Ce choix de bien faire qui s’offre enfin à l’ancienne étudiante en art dans la ville où les nus sont drapés.

Le strict minimum

Sur la toile de Marjanne, la couleur est quasiment bannie. Trop vulgaire, trop conventionnelle pour cette irrévérencieuse ayant refusé une version Actor Studio de la BD – les noms de Brad Pitt et Jennifer Lopez lui ont été soufflés. Trop mielleux, trop hollywoodien. Marjanne a renoncé au compromis d’un long métrage traditionnel pour n’en garder que l’essentiel. Aucune fioriture. L’esprit iranien aura laissé, inconsciemment ou non, ses traces. Pas de jugement à travers les coups de crayon, juste des émotions brutes, coupées à la hache. Le décor s’oublie même parfois jusqu’à l’abstraction totale. L’essentiel : le vécu. Aucune morale dans cette histoire si ce n’est que derrière ces bombardements vivent des peuples, comme elle et nous. Paradoxalement, tout n’est pas noir ou blanc, justement, dans l’histoire de cette famille iranienne. Même pour la jeune fille révoltée comme Marji, le port du voile devient doucement une habitude. Au point qu’elle avoue à sa grand-mère oublier l’avoir sur la tête la plupart du temps. Rien n’est simple, tout est mélangé. Le rire, les larmes. De nombreux sentiments se mêlent, se suivent, se tiennent par la main afin de faire ressentir – avant même de l’enseigner – l’histoire du pays au travers des yeux d’une gamine.

Persepolis
Réalisation et scénario : Marjane Satrapi, Vincent Paronnaud
Musique : Olivier Bernet
Avec les voix de : Chiara Mastroianni, Catherine Deneuve, Danielle Darrieux
Pays : France
Genre : Animation
Durée : 1h 35min
Date de sortie : 27 Juin 2007
Année de production : 2005
Distribution : Diaphana Films