Sommes-nous donc tous plus lâches les uns que les autres, plus vicieux, plus aigris, plus crades ?
Lui aussi est laid, désabusé, sale, avare, obsédé par la seule chose qu’il n’arrive pas à avoir, l’amour d’une belle femme. Elles sont belles et jeunes, la clarté de la vie semble être faite pour elles. Lui n’a reçu que son côté sombre. Il profitera de son pouvoir d’usurier pour toucher ces corps qui l’attirent et qu’il observe derrière un volet fermé.

Le film est noir, viol, vols, abus de pouvoir, inceste, abandon, meurtre, homophobie font partie de la vie des habitants de cette ville de bord de mer, qui ont le malheur de demander de l’argent à “l’ami de la famille”. Mais est-ce ainsi partout ? Qu’importe puisque nous ne savons si nous sommes bien dans la réalité.

La lumière découpe les lieux comme autant d’univers uniques et indissociables de la vie de Géremia, comme peut le faire un autre grand, Christopher Doyle (Vague invisibleIn he Mood for Love). Luca Bigazzi, directeur de la photographie (Les Conséquences de l’amourRomanzo criminaleA Casa Nostra…), impose son style de film en film pour notre bonheur. De cette photographie Paolo Sorrentino tire le maximum afin d’y faire évoluer ses personnages. Ici dans un appartement sombre, où le clair-obscur cache des sentiments quasi incestueux d’une mère pour son fils, d’une vie monacale où la seule chose qui y est vénérée est l’argent. Dehors il fait jour, le soleil brille sur la ville vivant au rythme de ces jeunes femmes tantôt déesses à moitié nues, tantôt joueuses de volley ou mannequins défilant à un concours de beauté, toutes plus belles les unes que les autres. Mais qu’il fasse jour ou nuit, la solitude pèse sur tout le monde, comme une fatalité, parce qu’il est impossible de lutter contre.

Magistralement servi par ses acteurs, Paolo Sorrentino, après son merveilleux film Les Conséquences de l’amour, prouve encore une fois que le cinéma italien vit. La mise en scène est subtile et dynamique, utilisant aussi bien le zoom avant comme transition que le plan fixe pour accentuer les sentiments des personnages. Sans oublier des dialogues riches et fins distillés à bon escient, laissant aussi le silence souligner les combats intérieurs de chacun.

On pense à Bielinski (El AuraLes 9 Reines), à Lynch (Blue Velvet) ou aux frères Coen (Sang pour sang) qui marquent, comme désormais Sorrentino, d’une empreinte particulière leurs films. Il est fréquent dans le cinéma indépendant de reconnaître dès les premières secondes l’œil d’un cinéaste. L’Ami de la famille est un film qui remue, montrant la noirceur de l’homme. Geremia est peut-être notre avenir, il est nous. A travers lui nous nous voyons marcher, toucher, regarder ce que nous ne pouvons avoir. Il est tous ces hommes qui se retournent sur le passage d’une femme, fixant leurs seins quand ils les croisent, ne pensant qu’au sexe et à l’argent. Où est l’avenir de la femme, semble dire Paolo Sorrentino ? Peut-être doit-elle quitter cette vie, après s’être abaissée à exaucer les désirs de l’homme. La femme est seule, car l’homme est seul, peut-être est-ce cela l’histoire ?

My Lady Story d’Antony and The Johnsons ouvre magnifiquement le film. Le fond musical est alors posé come on pose un cadre autour d’un tableau et, à l’intérieur, Paolo Sorrentino et Luca Bigazzi vont pouvoir s’exprimer pleinement, décalant l’image par rapport aux musiques, comme un puzzle sciemment construit dans le désordre, y ajoutant des couleurs et des sentiments qui rapidement obligeront l’histoire à dépasser ce cadre établi qu’est la musique. Celle-ci est riche et variée allant de LCD Soundsystem, jeune groupe new-yorkais de tendance électro-pop, à JS Bach en passant par les compositions originales de Teho Teardo.

Paolo Sorrentino est sans conteste un réalisateur à suivre de près. L’Ami de la famille n’est pas un film facile, mais il est de ces films qui rendent heureux d’aller au cinéma pour y vivre un moment unique.

L’Ami de la famille
Titre original : L’Amico di famiglia
Réalisation et scénario : Paolo Sorrentino
Musique : Teho Teardo
Interprétation : Giacomo Rizzo, Fabrizio Bentivoglio, Laura Chiatti
Pays : Italie
Genre : Drame, film noir
Durée : 1h 43min
Année de production : 2006
Date de sortie en France : 02 Mai 2007
Distribution France : Pyramide Distribution