Il est difficile de nos jours pour un cinéaste d’assumer un cinéma intellectuel, un cinéma dit de festival, sans prendre le risque de disparaître corps et biens, noyé dans les eaux tumultueuses du monde cinématographique dit commercial. La France de Serge Bozon est de ces films dit “intellectuels”, qui ne touchera qu’un public restreint alors que l’histoire est d’une simplicité intemporelle (une femme à la recherche d’un homme). Pourquoi ? Certes, c’est une France en pleine guerre que Serge Bozon filme. Mais, des combats, il n’y a que des bruits de canon, notamment durant la descente de la rivière, longeant un champ de bataille. La scène est peut-être inspirée d’Apolcalypse Now, quand la canonnière remonte le fleuve et passe à proximité de la ligne de front. On peut également y voir un tableau, tels les naufragés de La Méduse perdus dans une guerre dont ils ne veulent pas être les victimes. Un tableau ? Oui, Serge Bozon est davantage portraitiste que cinéaste, jouant sur les couleurs du paysage pour donner du relief à l’image. Portraits d’amitiés viriles et désespérées, d’amour, de tendresse, mais surtout de lâcheté et de peur.

Revenons sur la notion de film intellectuel ou de festival. C’est un film dont la vie dépend non pas du public mais de divers organismes publics et surtout de festivals, les seuls lieux quasiment où ils sont vus. Certains sortent tout de même de ce réseau pour être diffusés au mieux dans quelques dizaines de salles (38 pour La France, 4 pour Paupières bleues). C’est un film cassant les schémas d’un cinéma conventionnel, déroutant le spectateur par une photographie ou des plans originaux, par un récit non linéaire ou l’immobilité. C’est un cinéma qui ne répond pas aux critères de divertissement (violence, dialogues simplistes, amour, érotisme, populisme, clichés…) qui semblent être de règle aujourd’hui. C’est un film où les personnages ne sont pas tels que les spectateurs peuvent les rêver, mais tels qu’ils pourraient être dans la vie. C’est un film qui exige un minimum de références culturelles. Références culturelles qu’il semble de mauvais ton de posséder dans un pays où Amélie PoulainBrice de Nice et Les Bronzés font partie des références d’un cinéma de divertissement en perdition.Ce road movie prend à contre-pied le film de Bertrand Tavernier, Capitaine Conan, où un homme se sacrifiait au nom d’un désespoir, d’un amour, d’une nation, de la stupidité. Ici, rien de tout ça. La petite troupe menée par Pascal Grégory ne veut pas mourir et n’a aucun sens du sacrifice. Eux veulent vivre, aimer, respirer sans tuer ni haïr…
Et puis il y a l’intrus, celui que l’on prend un temps sous son aile mais dont on se séparera à la première occasion. Cet intrus catalyse l’histoire, c’est celui ou celle qui est à la recherche de l’autre et qui, grâce à cette recherche, va se trouver lui(elle)-même une autre raison de vivre, du moins c’est ce que l’on imagine. On attend alors que le personnage de Sylvie Testud se révèle autre, qu’il se découvre lui-même.

En décor il y a une France renfermée, perdue, avec une paysannerie veule et lâche. Faut-il y voir ce clivage tant et tant décrit entre une France cultivée, appréciant poèmes et chansons, prônant paix et solidarité, et l’autre France, plus dure et plus ferme, repliée sur elle-même, oubliant que la solidarité n’est pas une question d’origine ou de race ? Serait-ce le reflet de la France d’aujourd’hui ?Ce tableau “animé” est comme un conte pour adultes dont l’univers se situerait entre deux mondes (rêve et cauchemar). Les personnages s’arrêtent ainsi dans un bois et sortent des instruments faits de bric et de broc, entonnant des chansons d’amour comme d’autres s’endormiraient.

Il reste cependant que La France ne réussit pas à convaincre totalement. Que manque-t-il à Serge Bozon si ce n’est une plus grande audace, évitant ainsi une fin trop évidente et ennuyeuse, presque, au fond, digne des plus lourds blockbusters. Cette fin gâche un film original de par ses scènes pleines de poésie que sont les interludes chantés par les soldats tels de petits moments de répit dans la guerre, quand tout s’arrête un instant, où l’on touche un monde nommé Atlantide.

La France
Réalisation : Serge Bozon
Scénario : Axelle Ropert
Musique : Benjamin Esdraffo, Laurent Talon, Mehdi Zannad
Parole : Serge Bozon
Photographie : Céline Bozon
Interprétation : Sylvie Testud, Pascal Greggory, Guillaume Depardieu
Pays : France
Genre : Drame, Guerre, Musical
Durée : 1h 42min
Date de sortie : 21 Novembre 2007
Année de production : 2006
Distribution : Shellac